31/10/2019

Octobre (b)

Le soulèvement social, en bref

- Le 14 octobre ont commencé des manisfestations dans le métro, fomentées initialement par les associations d'étudiants (dominées par la gauche), suggérant de passer sans payer. Cela a continué et est devenu massif le jeudi 17.
- Le lendemain, une vingtaines de stations ont été partiellement détruites et plusieurs incendiées. Le samedi 19, le président Piñera a décrété l'état d'urgence dans la capitale, chargeant ainsi les militaires du contrôle de la sécurité, principalement des services névralgiques comme les centrales électriques et de télécommunications, et les services d'eau potable. Malgré le contrôle policier (surpassé), de nombreux supermarchés et des magasins de ligne blanche ont été mis à sac pendant plusieurs jours. Les attaques se sont étendues ensuite à des édifices publics. Ces "manifestations" à Santiago ce sont alors étendues à Valparaiso, puis à Concepcion et, par après dans d'autres villes, devenant visible qu'il y avait un plan d'escalade progressive tant en violence comme en extension géographique.
- Selon des sources anonymes, ce plan aurait été conçu lors de la dernière réunion annuelle au Brésil du Forum de Sao Paulo, qui regroupe les mouvements d'extrême gauche d'Amérique Latine. Il n'a pas été possible de confirmer cette information et elle est peut-être fausse dans son origine et contenu mais sûrement pas dans la mise-en-oeuvre. Ce qui aurait en partie été confirmé par un communiqué de l'OEA (Organisation des Etats Américains) qui signale que «Les courants actuels de déstabilisation des systèmes politiques du continent trouvent leur origine dans la stratégie des dictatures bolivarienne et cubaine, qui cherchent à se repositionner, non pas par un processus de réinstitutionnalisation et de redémocratisation, mais par leur ancienne méthodologie d'exportation de la polarisation et mauvaises pratiques, et essentiellement financer, soutenir et promouvoir les conflits politiques et sociaux».
- Le succès de la "mise-en-route" a été "garanti" par le mécontentement de la population suite à la hausse de tarif non seulement du métro mais aussi des combustibles et de nombreux services (comme les 20% de l'électricité), ce qui rend difficile aux 70% des chiliens qui gagnent moins de 700 € d'arriver à la fin du mois, et aussi renforcé par la délinquance et les vandales qui profitent de toute manifestation pour faire des dégâts, et aussi par l'habitude de beaucoup de chiliens de "profiter des occasions", comme pour la mise à sac des supermarchés. (Détail des causes et détonants dans les "Extras" publiés le 23)
- Le président Piñera a réagi le samedi 19 annonçant un rapide projet de loi pour annuler la hausse des tarifs des transports en commun, mais ce n'est que le mardi 22 qu'il a annoncé d'autres mesures de bénéfice social: augmentation des impôts de 35 à 40% pour ceux qui gagnent plus de 8 millions de CLP (10.000 €), augmentation du salaire minimum à 350.000 CLP (437 €) avec subside pour les PME, augmentation de 20 % des pensions payées par l'Etat et apport fiscal aux fonds de pension pour 500.000 travailleurs, annulation de la dernière hausse de l'électricité, diminution du traitement des parlementaires et hautes autorités de l'exécutif, application du mécanisme d'urgence pour la discussion au parlement de la loi sur l'assurance pour maladies catastrophiques, d'apports du Fond National de Santé pour réduire le prix des médicaments et de transformation du service de protection de l'enfance, augmenter l'équité dans le financement des communes au travers du fond commun (transfert de fonds des communes de haut standing et rentrées propres vers les autres), réduction du nombre de parlementaires et du nombre de possibles réélections. [L'extrême gauche voterait contre cette réduction du nombre de parlementaires, car elle en perdrait plusieurs.] Le tout coûtera au moins 1.200 millions de dollars, dont 500 millions pour les pensions, et pourrait atteindre 1% du PIB, mais n'aura d'effet réel -en général- qu'en 2020. Endetter le pays semble être la seule solution possible pour le moment.
- Plusieurs projets de loi pour appliquer ces mesures ont déjà été approuvés par le parlement (mais sans l'appui du PC).
- Cela ne semble pas avoir convaincu la population: 78% des gens déclarent qu'ils continueront à protester et les manifestations massives ont continué, surtout avec les concentrations massives du vendredi 25 (avec 1.200.000 personnes à Santiago et des dizaines de milliers en régions). Finalement, Piñera a annoncé le samedi 26 la démission de son cabinet.
- 83% des chiliens appuyent les manifestations et seulement 13,9% le gouvernement. 61,5% estiment que l'agenda social du gouvernement n'est pas suffisant. L'approbation de Piñera est tombée à 6,5%. La réprobation des parlementaires officialistes est de 64% et du Front Ample de 65%. Le Front Ample et le groupement des partis officialistes ont le même pourcentage d'appui: 16% (Aucun parti n'a plus.).
- Le président Piñera a invité à deux reprise les partis d'opposition a se réunir avec lui pour aborder les réformes sociales. Le PC et une partie du Front Ample ont chaque fois refusé d'y assister. Leur but est un autre: obtenir de nouvelles élections générales et changer le système politique.
- Le changement de quelques ministres (de l'intérieur et du secteur économique, le 28) ne semble pas avec convaincu la population: les manifestations et actes de vandalisme ont continué.
- En 10 jours, plus de 900 policiers et plus de 1.500 civils ont été blessés et on compte 22 morts (dont 5 seraient fruit de l'action de la force publique); plus de 2.800 civils ont été détenus (69% pour pillage, d'autres pour attaquer la police), et le Ministère Public conduit 840 enquêtes pour violation des droits humains. Il faut comparer cela avec les centaines de milliers de chiliens qui ont manifesté pacifiquement sans être inquiétés. Il est FAUX qu'il y ait eu des détentions massives.
Plus de 300 supermarchés et 200 pharmacies ont été détruits ou dévalisés. La police a compté 2.300 incidents dans le pays. 997 délinquants ont été déjà imputés devant la justice. Mais des milliers continuent encore à piller et incendier lorsqu'il y a une manifestation. Le ministre de la Défense a assuré que la police est arrivée "à la limite de sa capacité".
-L'Institut des Droits Humains a dénoncé l'existence de 84 blessés par armes à feu (mais rien n'est dit des auteurs) et a intenté procès pour 54 cas de torture et 18 d'agression sexuelle de la part de la force publique. La police enquête internement sur 14 cas.
- Les pertes pour le commerce ont atteint 1.400 millions de dollars. Un montant proche est celui du coût des réparations du métro.
- La situation a finalement obligé le gouvernement à suspendre la réalisation ici du sommet de l'Asie-Pacifique (APEC), de novembre, et de la conférence COP25, de décembre, sur le changement climatique.


Attention: Les fausses nouvelles abondes sur les réseaux sociaux et sont parfois reprises, malheureusement, par des médias internationaux et même des eurodéputés.

Note: J'ai omis le détail des évènements (que j'avais relevé jour après jour) vu son extension (imprévue!).


EXTRA: Virage historique du modèle (Extraits)
(La Tercera, 25/10/2019)

Tout a commencé bien avant les 30 pesos [d'augmentation du tarif du métro], au début des années 90, avec le retour de la démocratie, lorsque le Chili a connu une hausse historique de ses attentes en matière de qualité de vie, résultat des indicateurs positifs de croissance, de création d'emplois et de développement économique. réduction de la pauvreté La seule chose qui n'a pas progressé a été l'égalité et l'intégration sociale.
Le modèle économique imposé par la dictature a fait retomber l'énorme responsabilité de la croissance économique sur l'entrepreneuriat, ce qui en a fait la clé du bien-être des citoyens. Pour sa part, la classe politique renouvelée se chargea de réglementer le fonctionnement de l'économie et de générer des politiques publiques visant à promouvoir l'équité. À cette fin, des accords ont été conclus entre hommes politiques, hommes d’affaires et syndicalistes, et des critères techniques ont été appliqués, permettant de concentrer les dépenses sur les plus pauvres. Cependant, les classes moyennes émergentes promues par le même modèle ont été exclues des politiques sociales.
Peu à peu, un sentiment d'impuissance entre les groupes intermédiaires et d'abus s'est installé dans une partie importante de la citoyenneté. Cette déception muta en indignation suite aux scandales qui ont touché le cœur du monde des affaires et du monde politique au cours de la dernière décennie et qui s'est soldé par des sanctions très mineures concernant la gravité des crimes commis.
Mais cette même classe politique, fortement contestée, n'a pas hésité à augmenter progressivement sa rémunération et ses indemnités, ainsi que le nombre de représentants au parlement. Et l'entreprise n'a pas apporté de changements profonds pour recouvrer sa légitimité et ne pas être perçue comme de simples agents de capture de profit.
À l'exception de la gratuité universitaire approuvée à la suite de la forte mobilisation des étudiants, la plupart des demandes sociales ont été rejetées avec des arguments techniques ou avec des réponses très malheureuses, comme celle d'un ministre qui a recommandé aux utilisateurs du métro de se lever plus tôt pour accéder aux horaires les plus économiques.
Le moment actuel est critique, mais c’est aussi une formidable opportunité de générer un large accord politique qui, tout en conservant les plus grandes réalisations, modifie nos priorités et nous redonne un sens nouveau. Il est urgent de faire appel à la capacité de dialogue des hommes politiques, des hommes d'affaires, des syndicalistes, des universitaires et du grand public. Mais ce dialogue doit contenir une empreinte éthique capable d'ouvrir une voie certaine vers une plus grande justice sociale dans le pays.

Au sujet de la "répression"
Les uniformés de toutes les unités de police du pays sont autorisés à utiliser les fusils anti-émeute (à pellets) mais doivent diriger les tirs vers les jambes. Le général-directeur des carabiniers a exprimé que "Nous agissons dans le contexte de graves altérations de l'ordre public. La grande majorité des procédures que nous avons adoptées s'inscrivent dans le cadre juridique. Nous avons un mandat constitutionnel. À mon avis, nous avons bien fait." En ce qui concerne les plaintes pour violences policières, il a déclaré: "Ce sont les cas exceptionnels qui m'occupent et me préoccupent. Nous avons reçu les plaintes sérieuses et responsables, nous avons reçu les plaintes de l'Institut des Droits Humains et toutes ces plaintes sont acheminées, d'une part, au ministère public et, d'autre part, les enquêtes administratives ont été initiées".
[Plus haut ont été signalés le nombre de manifestants, le nombre de détenus et le nombre d'accusations.]

Autres Extras (causes, détonants, etc.): Voir post du 23/10/2019

23/10/2019

EXTRA: La crise chilienne

Les détonants de la crise nationale
(selon AFP, 20/10/2019)
Inégalités sociales chroniques, pensions basses, augmentations des tarifs métropolitains, coûts de l'électricité et de la santé. En outre, les cas bien connus de corruption au sein de la police et de l'armée, ainsi que la criminalisation croissante du mouvement étudiant [??], ont donné naissance à un cocktail qui a encouragé les plus grandes manifestations sociales depuis des décennies dans le pays.

L'explosion de Santiago (Extraits)
Par A.Cavallo, journaliste (Journal La Tercera, 20/10/2019)
L'explosion sociale de vendredi a pris tout le monde par surprise. En conséquence, après l’orgie de destructions dans des centaines de lieux à Santiago, un carnaval de démagogie a été organisé par les dirigeants politiques. Cela fait partie du livret de ce type de phénomènes qui précipite plus tard les interprétations selon lesquelles on pouvait prévoir les faits, la tension se faire sentir dans l’air, les symboles se multiplier, la température monter, le mécontentement apparaitre et ainsi de suite, avec tous les lieux communs qu’il est possible d’accumuler.
Il faudra un certain temps avant de voir à quel point le choc de la semaine a été spontané. Une des choses les plus déroutantes est linguistique. Le mot "évasion", dans le sens précis de ne pas remplir une obligation, devrait avoir une connotation négative dans un environnement social où les droits et les devoirs sont respectés. De manière inattendue, «l’évasion» [resquille] dans les transports [autobus] de la ville a acquis la connotation d’un acte de justice (ou du moins de vengeance) contre un service qui a été une catastrophe pendant des années. "Éluder" a cessé d'être un acte répréhensible, l'autorité n'a pas réussi à en faire une imputation. Et la semaine dernière, il a tourné vers le slogan initial d'une insurrection collective soutenue par une cause juste.
Il n'était pas impensable que l'évasion dans le cas du métro porte à la destruction de ses installations. Il est vrai qu’il ya un long pas à faire pour brûler les stations et piller les commerces à proximité, même s’il est bien évident qu’une fois lancée, une telle perturbation ne s’arrêtera pas d'elle-même.
Ceux qui soutiennent la thèse de la spontanéité totale doivent rechercher une explication sociologique plus ou moins diffuse, une généralité avec laquelle sont décrites les conditions supposées qui l’ont produite, plutôt que le phénomène. La généralité la plus importante est la colère, mais cela décrit la conséquence, pas la cause.
La société chilienne semble sujette à des explosions périodiques, qu’il s’agisse d’un tournoi de football, d’une catastrophe naturelle ou de toute autre chose offrant un espace d’impunité. Mais il y a ceux qui croient que la spontanéité de l'explosion de Santiago n’est qu’une partie du phénomène et qu’il y a actuellement une agitation planifiée en cours.
Pour le moment, l'image de l'armée dans les rues de Santiago a peut-être ruiné le gouvernement Piñera, mais il n'est pas du tout clair que cela aide les partisans de la protestation sociale - de manière très générale, la gauche - ou, au contraire, encourage ceux qui promeuvent une discipline sociale plus énergique. C’est une autre de ces leçons oubliées de l’histoire: quand gagne l’ultra-gauche, gagne toujours l’ultra-droite.
Le sociologue Eugenio Tironi ajoute: "Le fait que les gens soient sortis pour protester et que nous soyons indolents face au vandalisme montre qu'il existe une crise des mécanismes de représentation. C’est-à-dire que la manière dont nous administrons la démocratie ne suffit pas. Et cela repose des questions qui ont été reportées, les questions de révision du fonctionnement de la démocratie, de révision de la Constitution et de lui donner plus de légitimité, de faire face à des canaux différents des traditionnels pour résoudre cette controverse."

Le dilemme de l'opposition
Le journal ajouta le lendemain:
Le sentiment d'abus de pouvoir a fini par accumuler un mécontentement qui ne pointe pas vers un domicile politique particulier, mais vers tout le monde. Le discrédit des institutions - dans sa gamme la plus large - ne fait qu'alimenter l'inconfort et l'explosion [sociale] qui ne semble pas vouloir céder.
Le sentiment que ni les autorités ni la politique ne prévoyaient ce scénario est une conclusion commune. Cependant, la capacité des institutions à contenir le phénomène est ce qui inquiète aujourd’hui. Certains craignent même que cette incapacité ne débouche sur un résultat autoritaire.
L'option de s'asseoir pour discuter avec le gouvernement afin de trouver une solution politique à la crise a de nouveau mis en évidence le manque de consensus au sein de l'opposition. Le slogan soulevé par les présidents de [quelques] partis selon lequel il n'y aura pas de dialogue tant que l'état d'urgence et le déploiement militaire dans les rues seront maintenus provoque des divergences au sein de leurs propres communautés. Mais il s'agit d'une condition impossible à remplir par le président Piñera, compte tenu des fortes convulsions vécues dans les rues, des pillages et d'autres actes de vandalisme.

Quatre clefs selon la BBC (extraits) (21/10/2019)
1. La brèche sociale démesurée: 50% des ménages vu leur faible revenu n'ont accès qu'à 2,1% de la richesse nette du pays. La moitié des travailleurs perçoivent un salaire égal ou inférieur à 400 000 pesos (562 USD) par mois. Le transport public au Chili est l’un des plus coûteux du monde en fonction du revenu moyen (arrivant à 30% du salaire minimum).
2. L'administration actuelle a réagi tardivement aux manifestations, qualifiant les manifestants de "criminels" à plusieurs reprises et démontrant son manque de capacités et de compétences face à la situation.
3. L'opposition n'a pas échappé aux critiques ayant réagi tardivement et n'ayant rien fait pour améliorer la qualité de vie des chiliens lorsqu'elle était au pouvoir, avec seulement des promesses d'amélioration de la qualité de vie des habitants du Chili, répétées par Piñera. [Les enquêtes en montrent aussi le discrédit de tous.]
4. Les manifestations ont principalement été menées par les étudiants, comme en 2006 et 2011. [Ils ont de fortes associations.]

Et 6 détonants (Résumé de BBC 21/10/2019)
1. Le système de pensions: Défini en 1982, il comptait sur 40 années de cotisations pour donner une pension de 70% des derniers salaires. Mais c'était sans considérer que pratiquement personne n'accumule ces 40 ans, que les lacunes -par perte du travail- sont nombreuses, et que beaucoup demandent à leur patron de ne cotiser que pour le minimum et non le traitement complet.
2. Santé: 80% des chiliens cotisent au Fond National (FONASA, public) et 20% à des assurances privées (Isapres), nettement plus chères. Ni les uns ni les autres ne sont contents. Les hôpitaux publics manquent de spécialistes et de fournitures médicales et ont de longues listes d'attente et, à part les consultations de médecins qui peuvent être faites hors des centres publics en payant une partie, les apports pour examens ou procédés permis dans le privé sont très faibles (et la différence très chère). Dans les Isapres, on réclame pour les hausses fréquentes des prix.
3. Transports en commun: La réorganisation faite à Santiago en 2007 a été un désastre et bien que l'organisation s'est beaucoup améliorée, se mécontentement s'est maintenu, surtout à cause des longs trajets et de la congestion dans le métro. Ce dernier a permis une notable amélioration (et il est déplorable que 5 de ses lignes aient été détruites, sans raison valable).
4. Privatisation de l'eau: Faite sous la dictature, il est incompréhensible que des privés aient obtenu des concessions perpétuelles, au préjudice des petits agriculteurs (surtout en période de sécheresse comme maintenant). Malheureusement, cela est inscrit dans la constitution, qu'il est difficile de changer.
5. Education et mobilité sociale: C'est un des secteurs où les apports de l'Etat ont été les plus hauts (avec, dernièrement, la gratuité de l'université pour 60% des étudiants), mais la ségrégation reste réelle depuis l'enseignement primaire.
6. Abus et corruption: Il y en a une liste presque interminable: collusion des fabriques dans la vente de papier de toilette et de couches, de producteurs de poulets et de chaînes de pharmacies, fraude dans le financement de partis politiques, dans les achats de l'armée et le paiement des chefs de la police uniformée, avec une sensation d'impunité car les procès durent des années.

Les élites du monde des affaires et les élites politiques ont resserré l'étau plus qu’elles ne devaient le resserrer (Extraits)
Par Paula Molina, journaliste (BBC, 21/10/2019)
Rien n'a arrêté la destruction des stations de métro de Santiago, le défi au couvre-feu imposé par l'armée, la frappe des caceroles répandue même dans les secteurs les plus riches de la ville, ainsi que le vandalisme et le pillage des supermarchés et des pharmacies ces derniers jours.
Pour la psychologue et docteur en études américaines Kathya Araujo, les attaques au métro sont un symbole. Le train souterrain, considéré comme l'un des plus modernes d'Amérique Latine, reproduit quotidiennement les inégalités de la société, la concurrence brutale et exige les mêmes efforts extraordinaires qu' impose à ses citoyens un modèle économique et social privilégiant l'individualisme et la libre concurrence.
Le métro est un endroit où on est obligé de fonctionner «comme dans une guerre contre les autres», où, pour grimper, nous devons nous battre contre tout le monde, où nous voulons ne pas être poussés mais où nous sommes obligés de pousser. Le métro sert également d'incarnation de l'inégalité lorsque vous voyez les stations de certaines lignes par rapport à d'autres. Le métro est comme notre société: on améliore les conditions de vie, mais pas la qualité de la vie.
Les salaires n’ont pas augmenté, l’endettement est très élevé et ce n’est pas une dette de consommation de luxe, mais de survie. C’est la tension dans laquelle nous nous trouvons au Chili.
Le problème est de savoir ce que nous allons faire dans le futur, ce qui est essentiel. La distance de l'élite politique chilienne est certes une partie de l'explication de cette crise, mais l'arrogance de l'élite chilienne est quelque chose qui n'appartient pas uniquement à l'élite politique, mais à l'élite en général: c'est comme s'ils ne s'étaient pas rendus compte qu'ils se trouvent dans un autre pays, avec d'autres personnes qui ont des idées beaucoup plus fortes qu'auparavant, qui ont d'autres attentes en matière de traitement, davantage d'attentes en ce qui concerne l'horizontalité.
C'est comme s'ils n'avaient pas découvert comment les gens avaient changé. Déjà en 2009, 2012 on pouvait voir que la société était de plus en plus en colère et avait de plus en plus tendance à réagir de manière excessive aux événements auxquels elle était confrontée. Les élites ne se sont pas rendu compte de l'ampleur du changement et, comme ils ne le réalisaient pas, continuaient avec ces tics de réaction comme s'ils parlaient au locataire de l'hacienda. Ils n'ont pas remarqué que le pays était en train de changer, qu'il demandait plus d'horizontalité, qu'il était plus conscient et que les bases de leur propre autorité devaient être différentes.
Je pense qu'il y a un secteur de personnes qui ne voudraient en aucun cas piller, ni tirer, ni se faire vandaliser. Mais je pense qu'il y a un secteur qui traverse les frontières. Il existe un groupe de personnes qui ne partagent pas certaines normes communes. Le pillage signifie que certains principes de la vie en commun ne semblent pas fonctionner pour un secteur de la population.
Et je pense que tout cela a à voir avec le fait que les élites commerciales et politiques, appliquant une certaine logique capitaliste dans le pays, ont resserré davantage l'étau plus qu’elles ne le devaient.
-
Un rappel: ceux qui votèrent pour Bachelet furent 26% des possibles électeurs; ceux qui votèrent pour Piñera furent 27%. Que pensent les autres?

15/10/2019

Octobre (a)

Politique
- Enquête du mois passé: 52,9% des citoyens estiment que le pays va par une route erronée; 48,5% réprouvent la gestion du président (une baisse de 10%) et seulement 15,5% l'approuvent (mais 33% selon une autre enquête!). 57,9% sont d'accord avec le marriage homosexuel (projet au parlement). 72% croient que les miracles existent, 60,9% croient aux esprits et 43,6% aux ovnis. Les seniors reconnaissent le prestige des médecins, ingénieurs, professeurs et hommes de science, mais pas des politiciens, religieux ni militaires; ils n'aiment pas le "style de vie artificiel" qu'ils croient promus par la science et la technologie.
- Le mouvement "Non+AFP", qui demande la suppression des fonds de pension et le retour au système public de répartition, a fait une manifestation qui n'a réuni que quelques dizaines de participants (photo). 85% des chiliens seraient partisans de pouvoir retirer tout ou partie de leurs fonds lorsqu'ils sont pensionnés (mais pas d'éliminer les fonds de pension). Le Tribunal Constitutionnel étudie si le droit de propriété permet ou non de réclamer ces fonds pour d'autres fins.
- Une salle de la Cour Suprême a déterminé qu'elle pourrait recevoir et étudier des appels contre les sentences du Tribunal Constitutionnel (TC), ce qui est nié par celui-ci, qui accuse la cour de vouloir "redessiner les compétences constitutionnelles". Il y avait déjà eu plusieurs décisions contradictoires des deux organismes, mais l'on considérait généralement que le TC avait le dernier mot. Par après, le président de la Cour Suprême a résolu d'arriver à un accord avec le TC par voie de dialogue sur le thème des compétences respectives, pour éviter que l'Exécutif n'intervienne pour préciser celles-ci via réforme constitutionnelle.
- Le Front Ample (groupe de partis d'extrême gauche) demande la nationalisation du cuivre, du lithium et de l'eau "pour financer les droits sociaux et créer une nouvelle matrice productive".

Economie
- L'activité économique a crû de 3,7% en août, au-dessus de ce qui était attendu.
- Les taux des crédits hypothécaires sont tombés à leur minimum historique: 2,07%. Mais les taux de prêts à la consommation continuent au dessus de 20%. Le montant des dettes des foyers est arrivé à 74,3% des entrées disponibles.
- Les fonds de pension ont eu, la dernière année, une rentabilité réelle de plus de 10% annuels.
- L'emploi dans le secteur public a eu sa plus forte hausse en un an, concentrant 67% des nouveaux emplois.
- Les employés publics demandent une hausse de salaire de 7% (et ils sont déjà les mieux payés du pays).
- Les factures d'électricité augmentent de 9,2%, en plus de l'augmentation de 10,5% qui eut lieu en juin, à cause de la hausse du dollar (base des contrats). En 3 ans, les compagnies minières ont réduit de 11% leur consommation d'électricité pour faire face au coût. Lea billets de métro et des trains régionaux augmenteront de prix et aussi les bus (vu l'augmentation pour eux du prix du pétrole, le Chili étant le 2e pays latinoaméricain avec l'essence la plus chère).
- 444 marques ont participé au "CyberMonday" de ventes spéciales par internet pendant 3 jours, avec des ristournes de 20 à 80% et une moyenne de 34%. Le total des transactions a atteint une valeur de 271 millions de dollars, 16,3% de plus qu'il y a un an. Cette croissance affecte les centres commerciaux, qui se voient forcés de changer leur structure et modèle de commercialisation, donnant plus d'espace aux zones de restauration et amusement, activités culturelles et même services médicaux.
- La firme chine State Gridm a réalisé une des plus grandes opérations de ce pays ici en investissant 2.200 millions de dollars en achat aux propriétaires américains de la compagnie d'énergie électrique Chilquinta (qui a 700.000 clients) et celle de Tecnored SA, qui lui proportionne la construction d'infrastructure, plus 50% de Eletrans SA, qui opère des services de transmission. En 2019, la Chine a investi ici 7.500 millions de dollars.
- La guerre commerciale USA-Chine a coûté au pays 10.000 millions de dollars, des suite de la chute du prix du cuivre.
- En 2010 est apparu à Santiago le premier building d'appartements destinés exclusivement à être loués, building complet d'un seul propriétaire, mais il y en a maintenant 43 (de propriété d'une seule personne ou d'une famille), totalisant 10.231 appartements, une nouvelle forme d'investissement qui était méconnue ici. Le loyer est en moyenne d'environ 1.1 € le m2 (par mois).

Sécurité
- Araucanie. Nouveux incendies de machines et attaques aux carabiniers. Un chauffeur de camion a été blessé d'une balle dans le dos. La violence rurale dans la région a augmenté de 71% cette année. L'intendant (gouverneur régional) reconnait que la débilité des forces de l'ordre est de ne pas pouvoir prévoir les faits. Le président Piñera a reconnu qu'il n'a pas eu les résultats espérés de contrôle de la violence.
- Les transporteurs de la région ont bloqué l'autoroute avec leurs camions pendant quelques heures en réclamation pour le manque de sécurité. Les dirigeants se sont réunis par après avec le ministre de l'Intérieur et ont demandé que soit décrété l'état d'exception dans la région (ce qui permettrait la participation des militaires).
- Le gouvernement a prévu 57.800 millions de CLP (73 millions d'€) pour le combat des incendies de forêts cette saison, 34% de plus que l'an passé.

Santé
- Les décès associés aux divers types de démence ont augmenté de 526% ces 20 dernières années.
- Le tribunal Constitutionnel a confirmé la norme qui permet les services d'optométrie dans les magasins de lunettes (qui avait été objectée par les ophtalmologues).
- Le Service des Consommateurs a détecté une différence de prix entre les médicaments de marque et les bioéquivalents de jusque 181.000 CLP (230€) et des différences de prix de jusque 932% entre pharmacies.
- Le président Piñera a annoncé 30 nouvelles mesures pour assurer un meilleur accès aux médicaments, en particulier la création de magasins dans les communes où il n'y a pas encore de pharmacie et l'obligation pour toutes les pharmacies d'avoir un stock permanent de bioéquivalents. Il a aussi annoncé de fortes amendes pour les pharmacies qui ne respectent pas les nouvelles règles.

Climat
- A droite: carte du déficit de pluie (sécheresse).
La sécheresse commence a affecter sérieusement la vie dans les villages des zones affectées: 15% des habitants d'un village proche de Coquimbo ont déjà émigré a cause de la situation. Le gouvernement espère pouvoir augmenter de 34% les barrages destinés à l'arrosage et l'eau potable. 120 tonnes de fourrage ont été données par des éleveurs d'autres régions.
- Les grands agriculteurs ont assuré qu'ils sont disposés à sacrifier des cultures si cela est nécessaire pour assurer la disponibilité d'eau potable pour consommation humaine.

Science et environnement
- Le ministère "de la Science, la Technologie, la Connaissance et l'Innovation" a commencé à fonctionner officiellement ce mois, avec 45 fonctionnaires.
- Les investissements en projets qui sont en étape d'évaluation écologique ont augmenté de 123% cette année.
- La coupe illégale d'arbres dans les forêts natives a atteint 10.000 ha depuis 2013.
- Les incendies de forêt ont commencé, dans la région de Valparaiso.


EXTRA: Maladies catastrofiques
(Extrait de La Tercera, 5/10/2019)
Il y a quelques années encore, le sort de ceux qui avaient la maladie d'Atrofie Musculaire Épinale, principalement des enfants, était fatal, mais la mise au point d'un médicament coûteux avait modifié ce cours.
Le médicament nécessaire fut demandé là où une petite fille est normalement traitée, mais on y a signalé qu'il n'existait pas de ressources pour acheter le produit: il dépassait de 110% les fonds disponibles fixés par le ministère des Finances pour l'ensemble du catalogue de médicaments. car 1,1 milliard de dollars devraient être investis seulement pour la première année de traitement.
Comme il existe ici un programme de financement pour des médicaments très chers pour des maladies catastrophiques, mais celui requis n'est pas dans la liste, les parents de ces malades réclament en justice, se basant sur la constitution qui assure la protection de la vie. La troisième chambre constitutionnelle de la Cour Suprême est passée de deux sentences favorables aux patients en 2016 à 13 en 2018, alors que le coût associé à ces décisions impliquait une dépense fiscale de 3,5 millions de dollars. Aujourd’hui, selon les informations fournies par le Conseil de Défense de l’Etat, 14 demandes de financement de traitements sont en cours.
Le problème est que les sentences semblent oublier le problème complexe de la justice distributive, à savoir comment la communauté résout le difficile problème de la distribution de ressources limitées pour protéger la santé des citoyens. Ce que ces sentences accordent à un citoyen, il le privent à un autre, sans soupeser les critères de justice, d'efficacité et d'utilité, ce qui empêche l'élaboration et la mise en œuvre d'une politique publique, car la Cour Suprême a défini l'obligation que l'État doit remplir. C'est une jurisprudence uniforme qui stipule que le droit à la vie doit primer sur les budgets publics.
[Les familles qui ont une assurance de santé privée peuvent être couvertes par elles, mais le problème est pour ceux qui sont couverts par le Fond National de Santé ou sans couverture.]