01/07/2011

Photo de la quinzaine:
"El pionero" ("Le pionnier", travailleur du cuivre); Station de métro "Plaza de Armas" (Grand Place)










16-06-2011 - 120.000 personnes ont participé dans le pays à des manifestations de réclamations de divers types liées au système éducatif à ses différents niveaux.
16-06-2011 - 14 militaires boliviens ont été arrêtés en territroire chilien à bortd de eux autos avec plaque chilienne, apparemment volées par eux. Ils ont été formalisés par la justice pour entrée illégale avec armes puis expulsés. Et ont reçu avec honneur dans leur régiment, où l'on a dit qu'ils luttaient contre la contrebande et "s'étaient perdus". Beaucoup de véhicules volés ici sont vendus en Bolivie où il est très facile de les légaliser.
18-06-2011 - Plusieurs ministres ont maintenant un escorte de police, mesure peu commune ici, suite à la multiplication de menaces.
18-06-2011 - Cette semaine a éclaté un énorme scandale économique lié à la chaîne de grands magasins "La Polar". On a découvert que, depuis au moins six ans, elle "repactait" unilatéralement les plans de payement des clients ne payant plus leur crédit, augmentant les intérêts et ajoutant des amendes. Dans la comptabilité, la dette ancienne était marquée comme payée et on comptabilisait une nouvelle qui, étant beaucoup plus haute, faisait monter le bilan et la valeur apparente de la compagnie. Le total atteingnit ainsi mille millons de dollars, mais 51% des clients ne payaient plus. On sait que des exécutifs en ont profité pour vendre leurs actions à la valeur surfaite, gagnant environ un millon de dollars. Le Service (public) de Défense des Consommateurs est enfin intervenu et l'affaire est dans les tribunaux. On calcule qu'il faudrait un apport de 400 millons de dollars pour sauver la firme de la banqueroute, alors qu'elle doit déjà 300 millons aux banques. Des clients ont vu leur dette augmenter de 1000%, vu application du taux maximum, d'amendes et de frais de recouvrement (la loi autorise ici jusqu'à 50% d'intérêts annuels). La publicité des taux d'intérêts des crédits pour achats est très défectueuse car ne précise presque jamais si le taux publié est mensuel ou annuel et encore moins s'il s'agit d'intérêts nets ou composés. Le Parlement s'intéresse enfin aussi à cette situation et commence à aborder le thème d'une nouvelle règlementation.
18-06-2011 - Un nouveau système frontal a affecté le centre du pays, obligeant a fermer plusieurs ports. La tempête a provoqué des coupures d'électricité, innondations et envol de toits dans plusieurs villes.
19-06-2011 - Le Service de Défense des Consommateurs a déjà reçu cette année plus de 1.000 réclamations contre la Poste pour retards et pertes, les réclamations directes à la poste restant sans solution. Et la Poste avait reçu en janvier un prix "à la Qualité du service et Gestion d'excellence" (difficle à expliquer)! Le syndicat se défend disnat que 950 employés ont été mis à la pension en décembre et que la mise en route, il y a peu, d'un nouveau système informatique de suivi des envois "a été traumatique" car il suffit d'une touche mal frappée pur qu'il se bloque. La Poste refuse généralement de certifier les pertes ou reporte son rapport à une date où la possibilité de faire intervenir une assurance est périmée. Dans le cas de réception de paquets vides -ce qui est courant quand ils contiennent des objets de valeur-, elle répond n'avoir "pas d'évidence d'irrégularité".
19-06-2011 - Une hacienda de la zone d'Ercilla (sud indigène) a été attaquée à coup de fusils pendant près de cinq heures par 60 individus qui avaient aussi coupé une ligne à haute tension et bloqué les accès routiers avec des arbres. Les forces spéciales de la police ont finalement pu disperser les agresseurs, dont cinq seulement ont été identifiés et sont poursuivis.
21-06-2011 - Un tremblement de terre de 6,4°R a secoué hier le nord de pays (Calama, Antofagasta, Iquique), sans provoquer de dégats. Il a aussi plu dans la région (désertique), chose peu commune.
22-06-2011 - Suite au scandale de "La Polar", la Superintendence de Valeurs a commencé à étudier les procédés d'analyse d'états financiers des auditeurs de toutes les chaînes de grands magasins et supermarchés afin de vérifier que des autres firmes n'ont pas commis les mêmes irrégularités. Les actions de ces compagnies ont aussi fortement baissé. A "La Polar", un nouveau président a été nommé suite à la pression des banques et des principaux actionnistes et celui-çi a remercié 11 hauts exécutifs. Une réunion des actionnistes majoritaires a décidé une augmentation de capital de 200 millons de dollars, pour satisfaire les obligations les plus urgentes envers les banques.
Le ministre d'Economie a accusé le gouvernement passé d'avoir fermé les yeux, le Service de Défense des Consommateurs de l'époque ayant archivé sans suite de nombreuses réclamations. L'opposition, pour sa part, a interpelé le ministre des Finances (de qui dépend la Superintendence de Valeurs), l'accusant de manque de fiscalisation. Le gouvernement a annoncé un projet de loi pour augmenter ses facultés et obligations de contrôle des systèmes de prêts.
24-06-2011 - Alors que nos autorités félicitaient les policiers chiliens qui ont arrêté les militaires boliviens qui avaient traversé la frontière par un col non autorisé et emmenaient des véhicules chiliens, le président bolivien a décuré des militaires "pour leur lutte contre la contrebande", accusant nos policiers d'agression et déclarant que les véhicules que des contrebandiers introduisent en Bolivie passeront à être propriété de son armée "pour récupérer la dignité nationale et empêcher l'action des délinquants"(?). Une loi bolivienne actuelle permet d'y légaliser la propriété de tous les véhicules sans documents, la plupart volés au Chili.
25-06-2011 - Deux indigents sont morts de froid, dans les rues, cette semaine, et dix cette année, malgré l'existence d'auberges pour sans-abris. Le "plan d'hiver" a prévu pour eux 1.850 places extraordinaires, mais il y en a toujours quiu refusent d'y loger, ayant leur propre concept de liberté.
26-06-2011 - Enquête: 53% des chiliens considèrent valide l'éducation avec fins de lucre, mais 44% estiment que le gouvernement devarit mieux contrôler que les universités respectent la loi qui leur interdit le lucre (souvent contournée par des subterfuges, comme payer le loyer des locaux à une société immobiliaire qui appartient aux mêmes propriétaires). 51,6% estiment qu'il y a des objectifs politiques derrière les manifestations; 53% que le gouvernement devrait être plus strict et exiger des organisateurs des manifestations la réparation des destructions.
28-06-2011 - Une enquête de la Banque Interaméricaine de Développement montre que 75% des jeunes qui n'entrent pas à l'éducation supérieure et commencent à travailler en sortant du secondaire ne réunissent pas les conditions requises par les employeurs, principalement en ce qui concerne les attitudes, personnalité, responsabilité, travail en équipe et communication. Dans le commerce, leur amabilité et courtoisie envers les clients atteint à peine 25% des cas.
29-06-2011 - A l'épreuve internationale PISA de capacité de lecture de textes numériques, les élèves chiliens furent les derniers, avec 435 points contre 568 pour les coréens (les premiers) et face à une moyenne de 499 points pour les 19 pays inclus (16 de l'OCD et 3 invités). 57% des élèves chiliens ont accès à un ordinateur à l'école et 73% chez eux (la moyenne est de 74% et 92,5% respectivement pour les pays inclus).
29-06-2011 - Une étude de l'Institut National de la Jeunesse montre que les jeunes de 15 à 29 ans préfèrent maintenant rester chez eux pour la TV, internet (60%) ou des jeux vidéo, au lieu de faire du sport ou se réunir dans leur quartir, surtout à cause de la prolifération des bandes de délinquants.
29-06-2011 - La météo annonce la répétition des températures minima sous zéro à Santiago, ce qui fera de l'hiver de 2011 le plus crû -avec celui de l'an passé- des 30 dernières années. La froid et l'humidité atteignent aussi les régions désertiques du Nord. Tout le cône sud de l'Amérique est affecté, le Brésil ayant même eu 2,5° sous zéro dans une région.
30-06-2011 - De nouvelles manifestations massives ont eu lieu dans le pays pour réclamer des changements dans le système éducatif secondaire et supérieur, manifestations qui se sont terminées à nouveau avec du vandlaisme. Le président Piñera a annoncé le prochain envoi au Parlement d'un projet de loi relatif à l'éducation supérieure qui tiendrait compte d'une grande partie des réclamations.

EXTRA: Pourquoi se multiplient ici les manifestations de mécontentement? Ce que pensent les "experts"

1. J.C.Eichholz: "Injustice!"
Journal "El Mercurio", 18-06-2011

[Nous avons éliminé ici quelques allusions à des faits locaux qui mériteraient des explications supplémentaires]

Il n'est peut-être pas de plus grande frustration que celle qui vient du fati de se sentir injustement traité. Il suffit de faire attention aux enfants, dont les principaux griefs sont unis à cette expression classique que les parents connaissent si bien: "C'est injuste!". Et aux adultes, il nous arrive la même chose: nous considérons injuste de ne pas recevoir ce que nous croyons mériter, surtout si un autre obtient ce que l'on pense qu'il ne mérite pas. ... Le sentiment d'injustice nous secoue et nous émeut, même si finalement ce n'est justement qu'une impression.

Cela peut expliquer ce qui est derrière les manifestations d'étudiants, qui se multiplient et gagnent des adeptes, de domaines des plus variés. Parce qu'à la fin de la journée, plutôt que d'une protestation formelle, dans laquelle on demande quelque chose de spécifique -comme le changement de régime politique dans les pays arabes, par exemple-, cela ressemble plus à un grand soulagement, à une décharge émotionnelle d'un secteur de la société -ceux qui prennent les rues représentent beaucoup d'autres qui ne sont même pas des étudiants-, à laquelle le système où nous vivons parait de plus en plus injuste.

Ce qui attire plus l'attention, par exemple, c'est que ce sont les étudiants des universités traditionnelles [les plus anciennes et mieux évaluées] qui réclament, et non ceux qui fréquentent les universités privées et instituts professionnels et centres de formation technique. Ces derniers représentent 70% de l'enseignement supérieur, mais ne reçoivent que 20% de l'aide aux étudiants alors qu'ils sont, en outre, pour la plupart, des gens dans le besoin, car d'eux, 78% appartiennet au quintil le plus pauvre et sont ceux qui ont le moins de possibilités d'emploi après leurs études.

Et, au fond, ce n'est pas un problème matériel -l'aide aux étudiants ayant augmenté de près de six fois depuis 2005- mais idéologique, non une question rationnelle, mais émotionnelle. C'est le sentiment d'injustice que ressentent beaucoup en voyant qu'il ya ceux qui font de l'éducation un moyen de profit, dans un domaine qui, par définition, est appelé à niveler les offres afin de permettre la mobilité sociale, de réduire les écarts. Mais bien sûr, dans cette idée de profit s'impose la figure du capitaliste puissant profitant des faibles, de celui qui a plus vidant les poches de celui qui a moins. Comment n'est-il pas paradoxal que ceux qui réclament contre les établissements d'enseignement à but lucratif, soient ceux qui fréquentent ceux qui n'ont pas cette fin!

Les arguments n'ont pas de place ici. Ni pour les nouveaux barrages. Il ne sert à rien de savoir que le pays a besoin d'avoir plus d'électricité dans les prochaines années et qu'il existe des alternatives qui sont moins coûteuses, moins invasives et moins contaminantes. Ce que les gens sentent, c'est qu'on "détruit la Patagonie" -leur Patagonie, plutôt- et que cela est fait par les grandes entreprises pour leur propre bénéfice, tout pour être plus riches, pour le profit. «C'est injuste!"

Après tout, le mélange se fait de plus en plus explosif. Le Chili est l'un des pays avec la plus grande inégalité sociale du monde -les plus inégal de l'OCDE, en tous cas-, avec une classe moyenne émergente dont les attentes sont à la hausse -quand on est pauvre, on a plus de résignation, comme on sait-, et un gouvernement qui est considéré trop proche des hommes d'affaires. Et last but not least, il ya des cas qui ne font qu'exacerber le sentiment d'injustice: le puissant profitant du faible [Voir nouvelle du 18/6 sur le scandale d'une chaîne de grands magasins].

Il est vrai que le gouvernement a fait de grands efforts pour se défaire de cette étiquette, mais la stratégie n'a pas semblé très bien fonctionner. Et c'est qu'il ne s'agit pas de prendre des mesures ou de donner des arguments, mais de se connecter avec ce sentiment et d'essayer de contenir ceux qui l'expriment. Non pas céder à leurs positions, mais leur permettre de se défouler. En fin de compte, n'est-ce pas ce que nous faisons avec les enfants quand ils se plaignent que quelque chose semble injuste? Après les avoir reçu vient la conversation, et si nous le faisons bien ils vont nous comprendre... et nous à eux.

2. Eugenio Tironi: Qu'est-ce qui se passe?
Journal "El Mercurio", 21-06-2011

C'est la question qui remplit aujourd'hui toutes les conversations où se réunissent les noyaux dirigeants. Pourquoi le pays est-il parsemé de manifestations, alors que son économie croît et le chômage diminue? Pourquoi de rejette-t'on tellement le profit, quand on vient d'élire pour gouverner le pays un de ses apôtres les plus visibles? Pourquoi rejeter un projet qui permettrait d'atténuer le coût de l'énergée si les gens se déplacent seulement en fonction d'intérêts économiques? Pourquoi questionner maintenant le «modèle», dans des circonstances qui nous ont rendus plus prospères que nous ne l'avions imaginé? Pourquoi tombe tellement la popularité du gouvernement et, en même temps, celle de l'opposition ne s'améliore pas?

Certains font valoir que l'explication réside dans les réseaux sociaux numériques. C'est le même fétichisme technologique qui a conduit à affirmer que plus d'ordinateurs dans les écoles font une meilleure éducation. Ils aident, mais ne retirent pas les gens de la rue. Quand il n'y en avait pas, les gens sortaient tout autant [manifester] s'il y avait une bonne cause: pensons, par exemple, aux manifestations du début des années 80. La question est donc la cause, pas les réseaux.

Les manifestations que nous voyons ne sont pas contre HidroAysén [barrages en Patagonie], l'éducation sans but lucratif, l'AVC ou les OGM. Elles vont bien au-delà. A ce que s'opposent les élèves scolarisés du nouveau Chili, c'est un nouveau «système» qui se base sur les principes de la croissance économique, et favorise la concurrence et le profit comme leviers pour parvenir à ses fins. Ils se révoltent contre cette «histoire» qui était celle de leurs parents, mais n'est plus la leur. Ainsi surgit la disparité qui, contrairement à ce qui s'est passé dans ces bons vieux jours de la Concertation [alliance de centre-gauche des gouvernements précédents], ne peut plus être contenue par le gouvernement, et qui est favorisée par une opposition qui n'a jamais eu de sympathie pour elle.

Les économistes parlent de la «maladie hollandaise», faisant allusion à des conséquences causées par une forte augmentation dans le revenu d'un pays. Ceci amène -ajoutent les sociologues- que les valeurs matérielles liées à la sécurité économique sont déplacées par des valeurs post-matérielles telles que l'auto-réalisation et la participation. Au-delá d'un certain seuil, la crainte de la pauvreté ou la nécessité est remplacée par la peur de l'insignifiance, l'obésité devient un problème plus important que la malnutrition, et les exigences de la classe moyenne éclipsent celles des pauvres.

C'est ce qui se passe au Chili: la «maladie 15M". Le nom ne se réfère pas à l'«indignation» de l'Espagne, mais au moment où le Chili a surpassé les 15000$ par habitant. Ce qui aujourd'hui fait sortir les jeunes Chiliens dans la rue n'est pas la question de savoir comment entrer dans le système, mais le type de système auquel on les pousse à entrer. Pour cette raison, si les causes précises qu'ils défendent n'étaient pas disponibles, il faudrait les inventer, car avec elle on somatise la «maladie».

Sommes-nous, peut-être, sur le bord d'une crise politique ou une révolution? Pas du tout. La chose la plus proche de ce que nous vivons a été le mouvement hippie aux Etats-Unis. Quand il apparut, au début des années 60 du siècle dernier, le pays avait atteint exactement les "15M", et a émergé une génération qui n'avait pas vécu, comme ses prédécesseurs, les rigueurs des guerres mondiales. Comme aujourd'hui dans les rues du Chili, qui a connu la guerre de leurs parents contre les pénuries et l'autoritarisme. Leurs drapeaux étaient les mêmes: le rejet du consumérisme et de la marchandisation, et l'apologie du communautarisme et de l'écologisme. Finalement, les hippies ont changé le monde plus profondément que les révolutionnaires.

3. Mon complément

Si l'on considère qui sont ceux qui dirigent les manifestations et formulent les "demandes", il faut bien conclure que la plupart appartiennent au Parti Communiste. Et celui-çi n'a obtenu qu'un peu moins de 5% aux dernières élections. De plus, les slogans des réclamations ne sont typiques que de ce parti: "éducation gratuite pour tous et seulement aux mains de l'Etat" (suppression de l'enseignement privé), "renationalisation du cuivre" (une chose que fit Allende mais empêcha l'ouverture de nouvelles mines pendant plusieurs années), "rédaction d'une nouvelle Constitution" ou "non aux barrages" (un nouveau slogan écologique qui fait plus moderne, les autres retournant aux années '60). Que peuvent dire des étudiants secondaires sur la Constitution du pays et la structure de l'état -considérant inutile le Parlement- s'ils ne sont pas "préparés" par des idéologues plus âgés? Il suffit de leur poser des questions un peu plus profondes pour se rendre compte qu'ils ne dominent que les slogans, en ajoutant chaque semaine des nouveaux, de plus en plus éloignés du thème de l'éducation. Et ils ne se croient pourtant pas être manipulés!