30/10/2021

A propos du 18 octobre: les faits et leur sens

L'explosion n'était pas sociale
Sergio Muñoz, Analyste politique (Extraits. El Libero, 18/10/2021)

Après deux ans d'irruption de violence, de destruction et de pillage dans notre coexistence, on peut affirmer, sans aucun doute, que le 18 octobre 2019, il n'y a pas eu d'explosion proprement sociale au Chili, c'est-à-dire une protestation contre un état de choses insuportable. A cette époque, il y avait des préoccupations et des revendications légitimes, comme celle relative à l'amélioration des retraites, mais le pays n'était pas en crise. Les institutions fonctionnaient normalement et, malgré les différences, le gouvernement de centre-droite et l'opposition de centre-gauche, qui contrôlaient le Congrès, maintenaient des relations de coopération. Le rythme de croissance de la première année de Piñera avait doublé la moyenne du deuxième gouvernement de Bachelet, et le pays était considéré par des milliers d'immigrants vénézuéliens, haïtiens, colombiens et autres comme l'endroit approprié pour commencer une nouvelle vie. Bref, le Chili était loin de se retrouver dans une situation qui pourrait expliquer pourquoi, du jour au lendemain, et avec pour seul précédent la hausse des tarifs du métro, une vague d'irrationalité s'est déclenchée comme celle de la nuit du 18 octobre.
Depuis le rétablissement de la démocratie, nous avions assisté à des manifestations de protestation pour des raisons diverses, mais rien de comparable à l'irruption de foules vouées au vol, à l'incendie et à la destruction dans de nombreux endroits à la fois, qui mettaient les forces des carabiniers devant le test le plus difficile de son histoire. Ce n'était pas de la protestation, mais du vandalisme pur et simple. Ce n'était pas une revendication, mais une barbarie méthodique. Mais, les présentateurs de télévision et les leaders de l'opposition ont rapidement qualifié ce qui se passait d'« explosion sociale », qui a donné un air de noblesse à tout ce qui s'est passé.
Le but explicite du 18 octobre était politique : frapper le gouvernement de centre-droite, et en particulier Sebastián Piñera, pour le faire échouer et, simultanément, remettre en cause les réalisations du Chili depuis 1990 avec des gouvernements de centre-gauche et de centre-droite. Pour le mener à bien, la planification, la coordination et l'utilisation de ressources considérables ont été nécessaires. Le 19 octobre, Guillermo Teillier, chef du Parti communiste, a demandé la démission du président Piñera. C'était comme s'il remplissait sa part du plan. Dans les jours qui ont suivi, il est devenu clair que son parti était enthousiasmé par la possibilité de rééditer toutes les formes de lutte.
La violence fut validée par de nombreuses personnes des secteurs moyens qui ont accepté le reportage télévisé sur la supposée épopée vécue dans les rues. L'idée s'est répandue que cela pouvait contribuer à l'émergence d'une société plus juste. Une fois de plus, la fin justifiait les moyens. Au nom de la justice, d'énormes injustices ont été commises, des milliers de PME ont été détruites, l'économie a fait marche arrière, un climat de vulnérabilité a été généré dans la société et les pires distorsions de ce qu'on entend par lutte sociale ont été favorisées.
À un moment donné, la contribution du régime de Nicolás Maduro à nos malheurs devra être connue en détail. Le 19 juillet 2021, le président Piñera a fait une déclaration devant le procureur de Valparaíso, Claudia Perivancich, qui lui a demandé, entre autres, s'il était vrai que la Direction du Renseignement de l'armée avait remis, quelques jours après le 18 octobre, un rapport au ministre de la Défense de l'époque, Alberto Espina, dans lequel il était affirmé que le Service National de Renseignement Bolivarien (SEBIN, du Vénézuéla) avait réussi à introduire au Chili « un bataillon de 600 agents clandestins, experts en guérilla urbaine », pour mener à bien opérations insurrectionnelles dans le pays. Piñera a reconnu l'existence du rapport, dans lequel il a déclaré que l'entrée de cubains et de vénézuéliens était mentionnée.
Qui furent les exécuteurs de l'assaut du métro et des attaques contre les casernes de police et les unités militaires ? Les membres d'une coalition politico-criminelle, composée de groupes anarchistes, de diverses factions d'ultra-gauche, de soldats des trafiquants de drogue et d'éléments du lumpen. Ils ont été rejoints par des milliers de garçons perdus qui, avec les incitations correspondantes, se sont livrés au vandalisme à plein temps.
Que représenta alors la manifestation massive du 25 octobre à la Place d'Italie, qui a été saluée comme l'expression de la véritable explosion, et que la presse internationale a interprétée comme l'annonce d'une révolution ? Ceux qui l'ont convoquée via les réseaux sociaux ont fait preuve d'une grande habileté à appeler à protester contre les abus et en faveur de l'égalité. Tout le monde pouvait s'identifier à cet appel. Ainsi, de nombreuses minorités actives ont convergé sur la place, dans un mélange de happening et d'attitude perturbatrice, où il y avait place pour toutes les raisons de mécontentement. Il n'y avait pas de devise centrale, pas d'orateurs et pas de condamnation de la violence. Mais, tout le monde a compris que la manifestation s'inscrivait dans la même flambée, et qu'en fait elle légitimait les excès des jours précédents.
C'est alors que les partis d'opposition ont décidé de sauter dans le train de la protestation pour frapper le gouvernement. Sous prétexte de rejoindre « l'indignation du peuple », ils ont mis de l'huile sur le feu pour créer une situation d'ingouvernabilité qui leur permettrait de revenir au gouvernement d'ici 4 ans. La détermination des agitateurs de la Place d'Italie à couvrir le vandalisme avec des vêtements justes a été exprimée dans la phrase "jusqu'à ce que la dignité soit coutumière". Le mot important était "jusqu'à", car il impliquait que tout ce qui se passait à Santiago et dans d'autres villes ne s'arrêterait pas "jusqu'à" ce que la société se soumette à son idée de la dignité. C'est la violence devenue coutume !
Il est révélateur que les secteurs qui ont milité pour le pardon des pillards de 2019 parlent aujourd'hui des « prisonniers de la révolte », et non de l'explosion sociale. La présidente de la Convention elle-même évoque les « prisonniers de la révolte », presque comme signe de distinction. En aveu de partie, soulagement de la preuve. Il n'y a pas eu d'explosion spontanée d'agitation il y a deux ans, qui a amené certaines personnes bien pensantes à répéter que "le Chili s'est réveillé". L'ivresse de la propagande a fait son œuvre à l'époque, mais la vérité est enfin reconnue : révolte, c'est-à-dire émeute, acte de sédition. Et l'objectif était de provoquer la chute du gouvernement Piñera.
Le 18 octobre laissa un héritage empoisonné. Il a affaibli la légalité, encouragé les crimes à visage « social », favorisé l'anomie, mis la peur dans le corps de la société et accentué la dégradation du politique. La culture démocratique régresse douloureusement. On a vu émerger un courant au Congrès qui a endossé de nombreuses actions antisociales et n'a pas hésité à promouvoir les formes les plus ouvertes de déloyauté envers le régime démocratique. Et en plus, l'ivresse refondatrice de la Convention. Quand on entend qu'il exprime « l'esprit d'octobre », il est difficile de ne pas l'associer à des calamités.
Le plan séditieux de 2019 a échoué, et cela a prouvé que la démocratie a une base solide. Mais, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une nouvelle vague de déstabilisation, dont l'expression la plus grave est la nouvelle accusation constitutionnelle présentée à l'hémicycle contre le président Piñera, qui manque de base légale, mais cherche à créer un climat de tension alors qu'il ne reste que quelques jours avant les élections du 21 novembre. Ses promoteurs sont des parlementaires débauchés, animés par un pur intérêt électoral : ils jouent ces mêmes jours leurs positions bien payées. Ils sont, sans aucun doute, l'incarnation de la politicaille.

La signification du 18 octobre
Carlos Peña, avocat, recteur Université Diego Portales
(Extraits de El Mercurio, 15/10/2021)

Les faits eux-mêmes n'ont pas de sens. On leur attribue un sens qui, par eux-mêmes, leur manque.
Ce que l'on se demande, c'est quel sens on peut donner au 18 octobre [2019], à la lumière de la compréhension dont nous sommes capables aujourd'hui. Tout d'abord, le 18 octobre, c'est la fin d'un régime politique. Si l'on entend par un tel ensemble de règles et d'institutions qui organisent et distribuent le pouvoir, il ne fait aucun doute que ce jour a été le début de la fin du régime qui s'est configuré à partir des années quatre-vingt dans la dictature. Le présidentialisme renforcé a pris fin ce jour-là. A partir du 18, seule sa gestualité a survécu - et parfois même pas cela - mais l'autorité qu'il possédait a disparu comme par enchantement. L'autorité, comme le savent les psychanalystes, repose toujours sur un fantasme, sur le savoir supposé de celui qui l'exerce, sur le pouvoir qu'il cache. Eh bien, le 18 octobre, le fantasme présidentiel s'est dissipé. Et sans cette enveloppe fantaisiste, il n'y avait plus d'autorité et seule la trace du pouvoir subsistait (les romains distinguaient, comme on le sait, entre auctoritas, pouvoir socialement reconnu, et potestas, pouvoir purement formel).
Parallèlement à ce qui précède, le 18 octobre a été le moment où la compréhension que la société chilienne avait d'elle-même a commencé à s'effondrer et a commencé à en exiger une autre. Jusqu'au 18 octobre, il était encore logique de parler de la nation chilienne comme d'une communauté avec un passé et une mémoire communs. Le 18 octobre, un symbolisme est apparu qui indiquait qu'une diversité de mémoires et d'identités sous-tendait la société chilienne. Les politiques identitaires - peuples, minorités - ont fait irruption, ce qui nous oblige à modifier la compréhension que la société chilienne a d'elle-même. Mais avec la dissolution de l'auctoritas et le changement de compréhension que la société chilienne avait d'elle-même, le 18 octobre a également commencé un processus - celui qui est mené aujourd'hui par la Convention constitutionnelle - qui montre que le Chili, malgré la crise qu'il a subie, est prêt à réaffirmer sa volonté d'établir une communauté politique de destin, avec une unité de destin.
Le 18 octobre a été un événement quelque peu violent et destructeur. C'est vrai. Mais le seul moyen d'aplanir son profil menaçant est de le dépouiller de ses aspects dissolvants et ruineux en lui attribuant le sens d'un nouveau départ. Sinon, la fumée de ce jour-là et l'horizon éclairé continueront de nous accompagner.