30/09/2021

Les problèmes de la Convention

Le quorum des 2/3
Par Sebastián Soto, professeur de Droit, Université Catholique de Santiago
(Extraits, El Mercurio 19/09/2021)

Ce qui doit ou ne doit pas être voté par les 2/3 de la Convention, est un sujet « à la fois très simple et très compliqué ».
C'est simple dans un monde normal. Il existe certaines normes, les règlements de la Convention et les normes de la nouvelle Constitution, qui doivent être approuvées par un quorum spécial. Parce que? Car s'il y a quelque chose qui a profondément pénétré notre moment constitutionnel, c'est bien celui de « la maison de tous ». Et puis le 2/3 est une manière procédurale de le motiver, exigeant un large consensus qui favorise plus de légitimité. Ainsi, dans un monde normal, exiger que le règlement du vote soit approuvé par les 2/3 signifie que toutes les règles régissant le vote et le processus pour y parvenir doivent être approuvées par les 2/3. Evidemment, c'est non seulement l'action d'appuyer sur un bouton, mais aussi la délibération préalable, les procédures qui la précèdent et ses effets. Ces règles sont un "complément nécessaire" du processus de vote.
Mais la Convention en a décidé autrement: toutes les dispositions du règlement régissant le vote seront approuvées à la majorité. Même l'article qui réglemente le vote des normes de la nouvelle Constitution, dans lequel il est dit qu'elle sera approuvée par les 2/3, serait désormais approuvé à la majorité. N'est-ce pas une règle comme cette partie essentielle des règles de vote? Oui, ne devrait-il pas alors être approuvé aux 2/3 ? C'est comme ca. Et pourquoi ont-ils décidé qu'il y aurait un quorum simple ? C'est là que le compliqué commence.
La première complication est que certains soutiennent qu'il s'agit d'une stratégie intelligente pour endiguer la marée contre les 2/3. Maintenant qu'il s'agirait d'un quorum simple, l'application des 2/3 serait approuvée [par majorité simple]... Il faut leur rappeler l'avis de Galio, le personnage insondable né sous la plume d'Aguilar Camín : "En politique, il n'y a pas pire péché que la naïveté." Car lorsque viendront les moments difficiles (comme nous sommes dans l'antichambre), la règle des 2/3 durera aussi longtemps que le voudra la majorité.
La deuxième complexité est que la seule qui peut réparer ce gâchis est la Cour Suprême. Dans un monde normal, la règle est si manifestement claire que personne ne douterait d'une décision contraire aux intentions de la Convention. Malgré cela, et puisque la décision de faire appel est aussi politique que légale, il faut bien réfléchir à quand monter dans ce train dont personne ne peut aujourd'hui dépasser la gare terminale. Mais le plus complexe est qu'à la base de tout cela se trouve l'idée que la Loi n'est plus utile et qu'aujourd'hui seules les aspirations d'un peuple que peu savent interpréter sont valables.
La vulgarisation de la Loi est une mauvaise nouvelle pour tout le processus qui sera soumis à ces luttes incessantes où, en l'absence de règles, le plus fort l'emportera. C'est aussi une mauvaise nouvelle pour la nouvelle Constitution; et c'est que personne ne doit croire que le respect de la Loi se rétablira du jour au lendemain, par l'art de la nouvelle Constitution. Celle-ci, tant que durera la gueule de bois, sera aussi faible que l'actuelle et demain nos « pères fondateurs » seront invoqués pour rappeler au « peuple » que les constitutions, anciennes ou nouvelles, ne valent pas la peine. Mais la pire nouvelle de toutes est celle dont nous prévient [le périodique] « Le Fédéraliste » : « La plupart des hommes qui ont détruit les libertés de n'importe quelle république ont commencé leur carrière en flattant le peuple, commençant comme démagogues et finissant comme tyrans. »

Les abus
Ernesto Silva, Faculté de Gouvernement, Université du Développement
(Extraits. La Tercera, 29/09/2021)

Lorsqu'au sein de la Commission technique - créée pour mettre en œuvre l'Accord du 15 novembre 2019 [d'où surgit la convocation de la CC] - nous discutions des limites de la Convention, l'une de nos préoccupations était de protéger les citoyens des éventuels abus que pourrait commettre cette nouvelle autorité si son champ d'action n'était pas clairement défini, car toute autorité doit être soumise à des limites. Sinon, le risque d'abus, de discrétion et de préjudice éventuel aux personnes augmente.
Beaucoup de conventionnels ont levé leurs campagnes en invoquant la lutte contre les abus mais, aujourd'hui, en revanche, ces mêmes conventionnels s'ajoutent aux abus que montre la Convention.
Dans l'Accord du 15 novembre, nous avons établi que tant le règlement électoral que les normes constitutionnelles devaient être approuvés par les deux tiers des conventionnels. De même, pour protéger les minorités, nous avons établi le droit de faire appel devant la Cour Suprême en cas d'abus de procédure. Aussi, nous définissions clairement le statut des conventionnels, donnant une certitude sur leurs revenus, leurs allocations et leurs mécanismes de remplacement. Par ailleurs, nous avons rendu explicites les critères de transition de la nouvelle Constitution, établissant clairement que la nouvelle Constitution ne peut mettre fin prématurément au mandat des autorités élues par le vote populaire, à moins que l'institution ne soit supprimée ou substantiellement modifiée.
Eh bien, moins de 90 jours se sont écoulés depuis le début de la Convention, et les conventionnels sont allés au-delà des règles qui régissent le quorum de vote en instituant la majorité simple et non les deux tiers comme critère pour approuver les règles de vote; ils ont inclus une règle de remplacement [de membres] qui dépasse celle établie par le Constitution [existente]; ils ont envisagé quelque chose de totalement en dehors du cadre établi: des plébiscites décisifs pour résoudre les différends. Et, pour clore la dimension des abus, le vice-président a indiqué, sans trop de nuances, que la nouvelle Constitution peut mettre fin au mandat des autorités élues, même lorsque la norme expresse de la Constitution indique que cela ne peut être qu'en cas exceptionnels.
L'opinion publique et les conventionnels eux-mêmes doivent faire en sorte que la Convention change d'attitude et se soumette à ses limites.