31/01/2020

Janvier 2020 (b)

Politique
- Le président Piñera a demandé à ses ministres de ne pas manifester leur préférence en relation au referendum sur la nouvelle constitution, mais cela n'a pas plu à la coalition de droite.
- Le président a aussi fait conna[itre son projet de réforme du système de pensions, envoyé au parlement. Les cotisations seront augmentées de 3% en faveur de chaque travailleur et 3% de plus pour un fond solidaire. Cela permettrait une augmentation de 30% de la pension future de ceux qui commencent maintenant à travailler (sur le compte de leur fond individual), et immédiatement de 20% pour les hommes et 32% pour les femmes qui ont en ce moment les pensions les plus basses. Il y aura aussi de nouvelles normes pour les administrateurs de fonds de pensions. L'opposition a manifesté son désagrément, désirant des changements plus profonds et que les 6% ayent au fond solidaire.
- Le Parti Socialiste s'est divisé. Les sortants accusent le parti d'abandon de son "projet historique", ce qui l'a rendu méconnaissable.
- Selon le Centre d'Etudes Publiques, 81% des chiliens estiment que le gouvernement a répondu mal ou très mal à l'explosion sociale; la confiance dans le gouvernement n'est plus que de 5%, l'approbation du président de 7%, celle du parlement de 3 % et des partis de 2% (les niveaux les plus bas depuis 1990). 47% croient que la démocratie fonctionne mal ici mais la préfèrent. 70% affirment n'avoir assisté à aucune manifestation et 55% les ont approuvé, mais 68% des jeunes de 18 à 24 ans y ont assisté et affirment avoir senti "beaucoup" de tension avec la crise sociale, mais peu de peur, alors que les plus de 45 ans signalent avoir senti à la fois "peu de tension" mais plus de peur. 37% de ces jeunes admettent les barricades et la destruction et 13% les mises à sac et incendies de magasins. L'Eglise catholique n'a plus que 16% d'adhésion.
- Le parlement a approuvé - par une très étroite majorité et la division de l'opposition - la loi qui établit comme délit "l'altération de l'ordre public" et fixe des sanctions spéciales pour les mises à sac, l'établissemnt de barricades et le lancement d'objets pouvant causer des blessures. Pour une partie de l'opposition, c'est "la criminalisation des mouvements sociaux". Le Front Ample réclamera devant le Tribunal Constitutionnel, estimant que c'est contraire au droit de réunirse.
- Selon International Transparency, le Chili et l'Uruguay sont les deux pays les moins corrompus d'Amérique latine.
- Un groupe de femmes a formé un "Parti d'Alternative Féministe" dont l'objectif est de pousser les femmes à participer au processus constituant.
- Le seul sénateur chilien qui a fait les louanges du président Maduro et de sa dictature au Vénézuéla et qui a félicité les délinquants qui attaquent la police, a organisé un forum sur les droits humains au parlement, où la violence a été acceptée comme moyen d'action, et personne de la gauche n'a soufflé mot.

Economie
- 32% des exportations vont vers la Chine: surtout cuivre, fruits et vins.
- Selon The Economist, le Chili a amélioré son niveau de démocratie, alors que la moyenne a baissé dans le monde. Il est le 2° pays le plus démocratique d'Amérique Latine, après l'Uruguay, et il est 21° sur l'échelle mondiale. La ponctuation du pays a monté "grâce" aux manifestations et aux mesures prises par Piñera en réponse à elles.
- Le niveau de désemploi à Santiago se monte à 8,8%, 1% de plus qu'avant la crise d'octobre.
- La réforme tributaire est finalement sortie approuvée par le parlement: Il y aura une hausse des taxes sur les revenus les plus hauts et les logements de luxe. Les services de streaming devront payer la TVA (19%).
- Des suites de la crise sociale, 16,2% des émigrants désirent quitter le pays alors que 52,7% prétendent rester ici de façon permanente.
- De puis le 18 octobre (début de la crise) le nombre d'endettés en retard de paiement a augmenté de 102.000.


Sécurité
- Les attaques à des comissariats de police ont continué, avec policiers blessés.
- Des incidents (saccage de commerces, barricades et attaques à la police) se sont multipliés la nuit après qu'un camion des carabiniers a renversé et tué un un piéton lors d'une échaufourée à la sortie d'un match de football. Ce fut la nuit la plus violente depuis octobre. Le chauffeur du camion s'était caché le visage car il recevait des pierres lancées contre son parebrise.
- Les dommages causés à l'infrastructure du pays depuis le 18 octobre se monteraient à 1.400 millions de dollars.
- Un supermarché d'Antofagasta a été mis à sac pour la 17e fois!
- Le Front Ample demande la réforme de la police, considérant qu'elle "n'assure pas la protection des gens sinon la répression". L'exécutif pense la compléter d'ici 2027 (vu le temps de formation des nouveaux officiers). Elle s'inspirerit des polices d'Allemagne et Espagne.

Santé
- Une étude du Département d'économie du Ministère de la Santé a révélé que les familles allouent en moyenne 84.791 CLP (111€) par mois dans ce domaine, ce qui représente une augmentation de 67% par rapport à la mesure effectuée en 2012.

Science et environnement
- Selon Microsoft, le Chili est le mieux préparé de la région pour accélérer le développement et étendre les bénéfices de l'intelligence artificielle, apportant de nouveaux emplois, plus de productivité et de croissance.
- 98% de chiliens croient que le pays n'est pas préparé pour faire face au changement climatique.
- Nombreux incendies de forêts, avec des milliers d'hectares brûlés dans le centre-sud, alors que l'"hiver bolivien" innonde de boue des communes du grand nord. Le président Piñera a visité la zone et décrété "zone de catastrophe", ce qui permet d'y destiner des ressources extraordinaires.
- Le déficit de pluie dans la région centrale a atteint 80%.

EXTRA: Détérioration des institutions: un danger pour la démocratie
(La Tercera, 21/1/2020)
D'après la lecture de la dernière enquête, il est possible de conclure que le pays traverse le pire moment depuis le retour à la démocratie. C'est ainsi que la majorité se déclare "en colère", la confiance dans les principales institutions s'est effondrée - avec le gouvernement, le Congrès et les partis politiques en fin de tableau.
Il est possible que le tableau de l'effervescence sociale prédispose les citoyens à une vision plus négative de la réalité, mais ces résultats doivent être liés à des études antérieures, qui coïncidaient avec une détérioration institutionnelle progressive. Il convient de rappeler qu'en juillet 2016, l'ancien président Ricardo Lagos avait diagnostiqué que le pays traversait «la pire crise politique et institutionnelle que le Chili ait connue». Le tableau n'a cessé de s'aggraver et semble être entré dans une spirale dont la sortie est inconnue.
En raison du long temps que prend l'affaiblissement des institutions, il semble que la citoyenneté ait commencé à se résigner à cette idée, et ne lui accorde probablement pas une plus grande pertinence. Ainsi, le fonctionnement du pays semble s'être dissocié des institutions, générant un dangereux mirage de «normalité», en faisant croire que cela est possible en dehors des processus institutionnels. Une telle situation s'est révélée profondément erronée: lorsque les institutions et les partis politiques perdent de leur pertinence, un terrain fertile s'ouvre aux aventures populistes, aux réactions autoritaires et à la perte progressive de l'état de droit, favorisant les cadres de déstabilisation qui ont un grave impact sur la croissance économique.
Le pays ne peut pas continuer dans cette voie mais, de façon alarmante, les responsables des institutions elles-mêmes ne semblent pas trop s'inquiéter. Le Congrès a préféré consacrer une partie importante de son temps à des accusations et interpellations constitutionnelles, retardant le traitement de l'agenda social. Les juges et les procureurs ne semblent pas non plus être principalement préoccupés par la faible évaluation du pouvoir judiciaire, tandis que l'exécutif semble avoir perdu son chemin sur la manière de donner au gouvernement une orientation en phase avec la majorité qui l'a porté au pouvoir.
Il est urgent de récupérer les leaderships avant que les dégâts ne soient encore plus importants. Ceux qui ont la responsabilité des institutions sont appelés à passer à l'offensive, afin qu'ils retrouvent leur crédibilité, puissent canaliser les demandes des citoyens - sécurité sociale, éducation et ordre public - et guider la direction que le pays doit suivre. Cela est d'autant plus nécessaire que, selon l'enquête, les citoyens semblent très confus sur le moment actuel, ce qui rend les routes de sortie difficiles, et parce qu'il est peu probable que dans ce contexte le plébiscite d'avril résoudra seul cette crise.

Au Chili, il y a un "capitalisme d'amis" et de "gendres" (Extraits)
Par Luigi Zingales, économiste de l'U. de Chicago (CNN, 16/1/2020)
Nous traversons des moments importants, le Chili sort de 30 ans de succès économique phénoménal: le revenu par habitant a beaucoup augmenté, l'éducation aussi, la pauvreté a considérablement chuté et même les iniquités ou inégalités ont diminué malgré le fait que dans le reste du monde nous avons vu une tendance dans la direction opposée.
Si tout cela se passait, pourquoi avons-nous vu cette épidémie sociale et tant de manifestations violentes? Nous ne pouvons pas oublier ou ignorer la violence. Nous ne pouvons ignorer la colère qui y a conduit. Derrière cette colère, il y a un problème et ce problème doit être résolu si nous voulons que la croissance chilienne se poursuive à l'avenir.
Plutôt que de critiquer le capitalisme, il faut mettre en cause sa mauvaise application dans des contextes où quelques uns concentrent le pouvoir et le capital par la manipulation sélective des règles du système -qu'ils connaissent mieux-, ce qui ouvre les brèches d'inégalité, génèrant des injustices au détriment des plus vulnérables.
En Italie, une situation similaire se produit (dans le football): quand une équipe gagne, l'autre accuse. C'est une expression de rage. Mais si l'on commence à remettre en question l'impartialité de l'arbitre, alors la colère devient un mouvement, de la violence dans les manifestations.
Quelle que soit la qualité des indicateurs économiques, si la couche sociale n'est pas prise en compte et si les inégalités se développent, ce déséquilibre se manifeste tôt ou tard. Ce que je vous dis, c'est que, malgré le grand succès de l'économie chilienne, la raison pour laquelle beaucoup de gens ont besoin d'exprimer leur protestation c'est parce qu'ils ont le sentiment que l'économie chilienne est faible et je crains que ce n'est pas une mauvaise perception, mais que c'est très réel.
Ce que je dis aux étudiants du MBA qui vont à l'Université de Chicago: je pense que l'économie chilienne ressemble à un pays emblématique en termes capitalistes. Mais je pense qu'il y a un meilleur terme: c'est un capitalisme d'amis, de gendres. En fin de compte, l'idée est la même. Je ne dis pas que le Chili n'est pas capitaliste, c'est vrai, mais ils ont adopté un capitalisme qui ne produit pas d'avantages pour tout le monde et il existe différents types de capitalisme et s'ils ne comprennent pas cela, ils seront en difficulté.
Au Chili, les conglomérats subventionnent, car de cette façon, ils ont un crédit tarifaire pour les taxes. Chaque fois que les choses augmentent, ils ne perdent rien. En conséquence, très peu de personnes, par le biais des conglomérats, peuvent concentrer beaucoup de pouvoir. Ensuite, la possibilité d'être dans la même pièce avec des gens qui conspirent [pour des accords de prix] est maximisée. Ils faut imposer des tarifs appropriés aux entreprises et cela va changer le système. Cela a été approuvé par (Theodore) Roosevelt aux États-Unis et cela a très bien fonctionné, il y avait de nombreuses pyramides qui contrôlaient les services publics et qui n'existent plus. Il faut punir plus sévèrement la collusion et faire une réforme fiscale.

Malaise dans le Chili profond (Extraits)
Par Gaston L'Huillier, ingénieur (La Segunda, 23/01/2020)
Derrière le malaise citoyen, de toute exigence légitime, du rejet des abus et de la crise de représentation, il semble que le problème fondamental soit notre mode de vie. Pour quelque chose, le mot qui émerge de ces explosions sociales est «dignité». Parce que la vie actuelle est indigne. Il n'y a pas de temps pour la famille, les loisirs, le sport ou pour jouir de l'important. Même si les demandes seront satisfaites et que les abus se terminént, l'inconfort continuera.
Ce mode de vie déshumanisant, dans lequel l'homme ne devient qu'un facteur productif, dans un monde tourné vers la croissance infinie du PIB, semble avoir commencé au XVIIe siècle, lorsque Frère Bacon pensait que l'énergie de l'homme devait être utilisée dans la production et le commerce.
La pensée actuelle est que la vie elle-même se défend et se rebelle lorsque l'homme se transforme en facteur productif. Parce que si c'est tout ce qu'il a à faire, c'est une vie vide de sens, et l'homme doit donner un sens à sa vie.
Tant que la qualité de vie, qui est centrale, ne s'améliore pas, cette croissance permettra au moins de répondre à des demandes sociales raisonnables. En revanche, de jour en jour, les personnes qui ne veulent plus de violence augmentent. Comme à d'autres moments de notre histoire, l'anarchie finit par effrayer la majorité qui choisit de maintenir le système. Même lorsque les anarchistes, à une époque populaire, finissent par être punis et exclus. Ce Chili profond a deux états discontinus, sans termes moyens: nous sommes modérés jusqu'à ce que nous réagissions de façon extrême au moment de la lutte. Si nous n'apprenons rien des tentatives infructueuses [du passé] et ne nous contrôlons pas, pour développer uniquement des mouvements pacifiques, comme la grande marche qui a mobilisé plus d'un million de personnes, nous mettrons fin sans succès aux changements que nous voulons et persécuterons à nouveau les coupables, qui sont précisément ceux qui exacerbent la violence.