29/02/2020

Février (b)

Politique
- L'approbation pour le président Piñera est de 12% et la réprobation de 83%.
- 56% des chiliens seraient d'accord avec la continuation des manifestations, qui reprendraient en mars.
- Le président Piñera a de nouveau invité à un "grand accord national contre le violence et en défense de la démocratie". La gauche a répondu que maintenir l'ordre est une tâche de l'exécutif, que tous les partis ont condamné la violence et demande de "construire un pacte économique et social pour humaniser notre modèle de développement".
- La campagne de propagande face au futur referendum a commencé. La plupart des sont à faveur de la rédaction d'une nouvelle constitution.

Economie
- Le gouvernement a annoncé 500 petites subventions pour les entreprises qui engagent des seniors.
- Walmart (supermarchés) a calculé que la crise sociale au Chili lui a coûté 110 millions de dollars.
- 133 entreprises ont fait faillite en janvier.
- Un peu plus de 20.000 personnes ont pris leur pension en janvier. Le montant mensuel MOYEN qu'elles obtiendront sera de 130.000 CLP (155 €), moins de la moitié du salaire minimum garanti! Il est évident qu'elles se plaindront du système de pensions!
- Le Chili a reculé de 11 positions sur le ranking d'attraction pour des investissements miniers.
- Le président Piñera a promulgué la réforme tributaire, qui inclut une augmentation d'impôts aux plus hautes rentes et la taxation des plateformes numériques. Les changements sont insuffisants selon la gauche (qui a cependant apporté ses votes).
- La resquille dans les transports en commun a augmenté de 5% durant le dernier trimestre de 2019, atteignant 32,7%.

Sécurité
- Incroyable! Un groupe d'automobilistes se rejoint au centre de Santiago; tous descendent des autos et se mettent à rompre les trottoirs avec des barres de fer, pour ensuite former une barricade et l'incendier avec des bidons d'essence apportés. Où est la police? A la place d'Italie où, comme chaque vendredi, un petit groupe se manifeste et cause aussi les incendies d'une camionette et d'un immeuble à proximité. Dans ce secteur, 69% des commerces sont fermés depuis le début des manifestations.
- Un match de football a dû être interrompu à cause du lancement de bengales sur le terrain, l'une desquelles a blessé un joueur; des incidents ont eu lieu lors de l'évacuation des assistants. A un autre stade, aussi de Santiago, un concert a été suspendu à cause d'une échauffourée entre les assistants; à la sortie, un supermarché voisin a été saccagé. Dans aucun de ces cas on n'a signalé de détenu. Où était la police?
- Le centre de Santiago a été envahí de tentes de sans-logis, la plupart des émigrés, et de chariots servant de cuisine pour vendre des plats chauds aussi d'émigrés, sans mesures d'higiène. La police brille par son absence.
- Bilan de l'Institut National des Droits Humains depuis le 18 octobre: 3.765 blessés (dont 445 aux yeux) et 951 procès pour tortures. Selon le Pouvoir Judiciaire, le total des procès entamés en 3 mois est de 143.215, mais 57% n'ont pas été poursuivis faute d'enquêtes.
- Une station de métro a de nouveau été incendiée.
- Une analyse policière des manifestations a conclu à l'existence d'une "première ligne" de manifestants masqués qui déclenchent la violence mais se garde d'être arrêtés en flagrant délit.
- Le maire (PC) d'une des communes de Santiago a déclaré que "le peuple a le droit de se défendre des forces de l'ordre".
- Alors que les alentours directs du lieu du festival international de la chanson de Viña del Mar étaient bien protégés par la police (et que le chef régional de la police en était content), le reste de la ville était dépourvu de policiers le jour de son inauguration, ce qui permit l'action des violentistes qui ont attaqué un important hôtel, non protégé (où 380 passagers -beaucoup liés au festival- ont dû être évacués), 14 véhicules incendiés et une douzaine de commerces vandalisés. A l'hôtel logeaient entr'autres des corps de ballet et des concoursants du festival, ce qui a obligé à suspendre les concours de chansons folkloriques et internationales le premier jour. Ces manifestation avaient été convoquées sur les réseaux sociaux: "Sang dans les rues de Viña. Non au festival", mais la police sembla ne pas en tenir compte hors des environs du festival. Il y eut une trentaine d'arrestations, dont seulement un tiers étaient habitants de cette ville et la moitié avait un casier judiciaire. Seulement deux ont été mis en prison préventive. La plupart des artistes ont inclu des messages politiques en appui aux réclamations sociales.
- Le monument de Valparaiso aux héros de la Guerre du Pacifique a été attaqué avec des pierres et de la pinture. Il n'y a plus de respect pour rien!
- 106 kg de pâte-base de cocaïne, avec un valeur de 18 millions d'€, ont été saisies à Valparaiso. A Viña-del-Mar, il y eu 10 arrestations avec une saisie de drogue pour 100.000 €.
- Deux bombes ont explosé dans un bar du haut de Santiago, revendiquées par un groupe anarchiste.

Santé
- Le nord du pays est en alerte à cause de l'apparition de malaria.
- Cinq nouveaux hôpitaux seront mis en marche plus tôt que prévu pour faire face à la possible épidémie du virus chinois. Des femmes revenant d'Italie ont des symptômes du virus et sont en observation.
- Le ministre de la Santé a répété que "nous avons un des meilleurs systèmes de santé de la planète". [?]

Science et environnement
- Une scientifique chilienne a découvert une enzyme qui réduit l'effet nocif du plastique dans l'organisme.
- Du gason est apparu à la base antartique chilienne de Bahía Fides, où la neige a fondu à cause d'une température de 18°.
- Le ministère de l'Agriculture a signalé qu'il n'a pas de ressources suffisantes pour faire face à la sécheresse.


EXTRA: Violence et processus constituant
Cristobal Bellolio, professeur Ecole de Gouvernement, Univ.A.Ibañez (Revue Capital, 13/2/2020)

Ici, je désagrège le lien entre la violence et le processus constitutif, afin de clarifier quelle partie de l'argument de rejet doit être écartée et quelle partie doit être prise au sérieux. Premièrement, il est perçu que de larges secteurs de la droite se sentent trompés: assiégés par un scénario de manque croissant de contrôle des rues, ils ont été contraints de signer un accord. Ce que la gauche démocratique n'a pas obtenu en trois décennies, l'a rendu possible l'explosion sociale. L'officialisme a pensé que cet accord - appelé à juste titre "pour la paix" - a contraint l'opposition au déploiement de ses meilleurs efforts pour éteindre le feu et rétablir l'ordre public. S'il est vrai qu'une partie de l'opposition a montré peu d'intérêt pour cela - contextualisant et même justifiant la violence dans les rues, se lavant les mains concernant les externalités négatives de la protestation sociale - la vérité est que ses partis n'ont pratiquement aucun contrôle sur ce qui se passe à la Place d'Italie [lieu principal des manifestations à Santiago] ou tout autre point critique. La droite a péché de naïveté si elle a jamais cru qu'un appel [d'un personnage de la gauche] générerait un certain effet. Que la droite a fait du mauvais calcul, même en considérant que certains n’ont pas rempli leur part de l'accord, ne constitue pas en soi un argument contre le processus constituant.
En second lieu, les manifestations pourraient se poursuivre avec une certaine régularité - aucun moment insurrectionnel comme celui que nous avons vécu ne s'épuise du jour au lendemain - à travers une série de rites localisés et circonscrit aux champs de bataille symboliques, alors qu'en parallèle se développe un processus constituant plus ou moins ordonné. Au contraire, on pourrait supposer que l’élection du scénario, le besoin de participer à la convention et à la discussion sur le contenu ont tendance à transférer l'énergie (même partiellement) de la rue au forum et de la barricade à l'assemblée. De ce point de vue, à plus de processus constitutant, moins de violence. [?]
La troisième appréhension est beaucoup plus concrète: qu'un groupe de manifestants, ivres de conviction de la noblesse de leurs fins, entrent dans les bureaux de vote, volent une poignée d’urnes et salissent sérieusement la légitimité des actes électoraux. Après ce qui a eu lieu avec l'épreuve d'admission aux universités, et ayant été témoins du handicap qu'a révélé notre institution pour garantir le droit des inscrits, cette hypothèse n'est pas rejetable. Cependant, de plus en plus de voix sont ajoutées à l'option de l'approbation, même ceux qui pensaient à l'origine à tout saboter. La sensibilisation à l’ampleur de l’opportunité croît. Si un collectif idéaliste pensait à s'en prendre au processus, le rejet de ces manœuvres sera puissant et transversal.
Enfin, certains ont souligné que le climat actuel de harcèlement et d'intolérance n'est pas idéal pour mener à bien un processus de tant de transcendance. Il s'agit justement de parler avec ceux qui pensent différemment. Mais beaucoup de gens vivent persuadés de la logique ami / ennemi. Pour la même raison, ils se précipitent à appeler traître qui construit des ponts au lieu de les couper. Cependant, la convention constitutionnelle dépend des constructeurs de ponts pour réussir en tant que processus démocratique durable dans le temps. De tous les arguments qui lient la violence au scepticisme concernant le processus constituant, c'est le plus plausible, car il révèle un germe d'intolérance politique qui rivalise avec le succès du processus. Mais cela n'est pas (nécessairement) une raison de voter le rejet, mais plutôt une considération que les partisans de l'approbation devraient prendre au sérieux s'ils se soucient de ce que les résultats du processus remplissent leur objectif de relégitimisation politique.

Explosion sociale: un cocktail de 17 ingrédiants (Extraits)
Par Mario Waissbluth, Centre d'Éstudes Publiques, U. du Chili (El Mercurio, 15/2/2020)
Trois facteurs ont convergé sur l'origine [de la crise]. Premièrement, l'expression locale de tendances internationales telles que: 1) la crise matérielle de la représentation politique; 2) de nombreux conflits sociaux qui ont envahi la rue de la France à la Colombie, précisément à cause du manque de représentation, et 3) une période de questionnement beaucoup plus grand des jeunes générations vers les plus âgées, comme en France en 68.
Deuxièmement, le modèle néolibéral extrême et déréglementé a eu plusieurs conséquences au Chili: 4) une forte ségrégation urbaine et scolaire; 5) l'individualisme extrême, ainsi que la méfiance interpersonnelle et de groupe; 6) irritation pour abus non punis; 7) inégalités de toutes sortes; 8) sentiment de fragilité économique dans de vastes secteurs de la classe moyenne et des diplômés universitaires endettés avec de faux diplômes; 9) l'anomie, une détériorisation généralisée du contrat social.
Troisièmement, l'État a maintenu une grave négligence concernant: 10) la maltraitance des enfants et la violence domestique; 11) les pathologies mentales; 12) de nombreuses écoles publiques se sont transformées en ghettos à grande désertion; 13) les prisons à récidive élevée; 14) permissivité concernant l'émergence de narcos, anarques et "barres braves" [=hooligans]. Ces problèmes ne préoccupaient pas l'élite. Une armée potentielle de violents a été formée pour décharger leur colère sur la société, profitant de marches pacifiques.
Ces éléments se sont ajoutés à: 15) la contingence d'un gouvernement politiquement incompétent, d'attitudes "gérencialistes" et classistes, avec de nombreuses déclarations absurdes et malheureuses avant l'explosion. Il suffisait de: 16) une miniétincelle de 30 pesos [augmentation du ticket des transports en commun], plus une maxiétincelle (peut-être planifiée) dans sept stations de métro, pour faire exploser la conflagration.
L'élite chilienne n'avait pas voulu réagir auparavant aux allégations d'abus et d'iniquité, avec de simples marches pacifiques. Maintenant, nous payons tous le prix d'une violence nihiliste qui a débordé en ampleur, en durée et en virulence, avec la participation d'acteurs qui n'ont aucun intérêt à y mettre fin, comme les anarchistes et les narcos. Il est déjà très difficile de s'arrêter, même avec de bonnes propositions sociales et constitutionnelles. Un autre cercle vicieux est difficile à briser: 17) violence > réaction d'une police inepte et débordée > inévitables morts et blessés > opposition, manifestants et violents dénoncent la violation des droits de l'homme comme politique gouvernementale > accusations constitutionnelles [contre ministres et gouverneurs] > plus de violence.
Le scénario le plus probable est que le pays continuera de traverser une crise, peut-être avec un feu un peu plus lent et pas aussi dramatique que dans les premiers mois, mais sans s'arrêter au moins jusqu'à la prochaine élection présidentielle, et avec une détérioration économique persistante. Ce scénario ne pourrait être modifié que par un miracle politique virtuel: la formation d'un gouvernement d'union nationale dont le programme soit un changement constitutionnel majeur, et une augmentation significative des revenus et de la dette publique pour financer un pacte de développement social, économique et environnemental à long terme. Notre classe politique ne semble pas être à la hauteur de cette magnanimité pour le bien commun.

[Il faudrait ajouter le développement des réseaux sociaux numériques, dont on sait bien maintenant qu'ils causent une croissance de la haine et de la violence.]